Biographie de Jacques Riboud
Si la place centrale de Maurepas porte le nom de Jacques Riboud, c’est en quelque sorte l’hommage de la créature au créateur. Là où il n’y avait que des champs et des marécages, Jacques Riboud a non seulement construit des logements, mais aussi dessiné un plan d’ensemble cohérent, installé les édifices publics et les équipements collectifs, pensé l’accueil des pionniers et encouragé la vie associative pour que les habitants adoptent sa « ville heureuse ».
Ce que beaucoup de Maurepasiens ignorent, c’est que l’urbanisme et à l’immobilier n’ont constitué qu’une parenthèse dans la vie de cet homme éclectique, à l’origine inventeur et capitaine d’industrie, et finalement reconnu par les économistes pour ses travaux sur les monnaies. Une parenthèse qui mérite pourtant de ne pas être oubliée, tant les théories proposées par Jacques Riboud semblent empreintes d’un bon sens et d’un humanisme qui font défaut à tant d’autres réalisations.
Biographie
Formation et débuts dans l’industrie
Jacques Riboud est né le 4 février 1908 à Soissons dans l’Aisne. Il obtient le diplôme d’ingénieur des Mines de Paris en 1930, et se prépare à faire carrière dans le pétrole après un long voyage d’études aux USA. De retour en France, Jacques Riboud dépose le brevet d’un nouveau type de réservoir à carburant ; ce sont les revenus associés à ce brevet qui lui permettront plus tard de créer sa propre entreprise.
En 1939, mobilisé comme lieutenant, il participe à la bataille de la Somme avant d’être fait prisonnier. Libéré lors de l’armistice de 1940, il rejoint les États-Unis où il travaille pendant toute la guerre sur la conception d’un nouveau canon d’artillerie.
Après la guerre, Jacques Riboud est nommé directeur de la Société des Raffineries des Pétroles de l’Atlantique, future ANTAR (absorbée plus tard par ELF, puis finalement par Total). A ce titre, il dirige la reconstruction de la raffinerie de Donges, près de Saint-Nazaire, détruite par les bombardements. Il publie en 1962 le livre Théorie des raffineries grappes qui s’appuie sur cette expérience.
La problématique du logement ouvrier
A côté de la raffinerie, le bourg de Donges avait été lui aussi ravagé par la guerre. Sa reconstruction n’avance pas ; le fonctionnement et l’extension de la raffinerie sont gravement perturbés par les difficultés qu’éprouvent les ouvriers à se loger. Jacques Riboud crée donc au sein d’ANTAR une petite structure, la Société d’Études et d’Équipements pour la Construction (SEEC) qui prend directement en main la construction d’un nouveau quartier.
Dans une interview , il commente cet événement, et ses conséquences :
Partout où vous remplacez l’Administration Publique par une entreprise privée, ça marche autrement. […] Ca a tellement bien marché que quand Donges a été terminé, ça me faisait mal au cœur de disperser cette société et j’ai donc demandé au Conseil d’Administration d’ANTAR de reprendre à mon compte la SEEC. C’est comme ça que je suis devenu « constructeur créateur urbain ».
Sans abandonner ses responsabilités au sein du groupe ANTAR, Jacques Riboud commence donc au début des années 1960 une nouvelle carrière, et un nouveau combat.
Jacques Riboud urbaniste et promoteur
En application de la doctrine de Le Corbusier et de la Charte d’Athènes, la « pensée unique » de l’époque ne jure que par les grands ensembles (Sarcelles sort de terre en 1955, La Courneuve en 1956). C’est dans ce contexte que Jacques Riboud entend démontrer – entre humanisme, utopie et arrogance – qu’il est possible de créer des quartiers à taille humaine, à base de petites maisons de ville, pour un coût équivalent à celui d’une barre ou d’une tour. Il théorise son approche dans un livre-manifeste Expérience d’urbanisme provincial paru en 1961.
Après Donges et quelques autres lotissements autour de Nantes et Saint-Nazaire, c’est à Gonesse que Jacques Riboud réalise sa première opération notable en région parisienne, avec 600 logements sociaux en accession à la propriété (plan Logéco). En 1959, il commence à Villepreux la construction de la Haie Bergerie. Sur 65 hectares de terres agricoles, ses équipes réalisent une ville « clé en main » comportant 1700 logements et tous les équipements : écoles, bibliothèque, centre commercial, terrains de sport, maison des associations, église, mairie…
Ce principe sera repris à plus grande échelle à Maurepas et Élancourt à partir de 1966.
Boulimie d’activités et nouvelles orientations
Dans les années 60, Jacques Riboud est donc directeur d’une mosaïque de sociétés qui interviennent dans tous les métiers du bâtiment (groupe Jacques Riboud Création Urbaine), toujours PDG de ANTAR, et président de l’Association française des techniciens du pétrole. Il siège également au Commissariat général au Plan de 1966 à 1975, dans les Commissions pétrole, chimie et urbanisme.
Au début des années 1970, il devient aussi éditeur en rachetant la vénérable Revue politique et parlementaire, puis, avec la société Vitrex-Riboud, développe une « voiturette » à trois roues, qui tente d’apporter une réponse au problème de la place de la voiture en ville.
Cette époque est celle d’une profonde désillusion : les théories de Jacques Riboud sur l’urbanisme et l’architecture sont très mal vues par les décideurs des villes nouvelles, et sa société est systématiquement écartée des appels d’offres. Après quelques réalisations de moindre envergure (la Clairière à Rambouillet, ainsi qu’un quartier de Jouars-Pontchartrain) et un dernier livre sur le sujet (La ville heureuse, en 1981), Jacques Riboud se consacre désormais à son nouveau centre d’intérêt : l’économie, et plus particulièrement les questions monétaires.
A partir du milieu des années 70, il crée et anime le think tank « Centre Jouffroy pour la réflexion monétaire » au sein duquel il se penche sur le problème des prêts immobiliers dont la complexité freine l’accession à la propriété. Il développe surtout la thèse d’une monnaie supra-nationale européenne, « l’Eurostable », pouvant apporter une solution durable à l’inflation qui sévit à cette époque.
Si ses travaux restent méconnus en France, Jacques Riboud bénéficie de l’oreille attentive des institutions monétaires internationales où il côtoie Mielton Friedman et d’autres économistes renommés. En 1999, dans la lignée des travaux de Keynes, il propose le « new-bancor », une monnaie-étalon que gèrerait le FMI pour assurer la stabilité des changes et la constance du pouvoir d’achat.
La postérité
Depuis la mort de Jacques Riboud en 2001, ses amis du Centre Jouffroy continuent la diffusion de ses idées sur la monnaie. Avec la crise monétaire et financière qui suit la crise des subprimes de 2008, les nombreuses propositions visant à affirmer le rôle du FMI au sein du système monétaire mondial semblent lui donner rétrospectivement raison.
Dans le domaine de l’urbanisme, les nouveaux quartiers construits dans les villes nouvelles après 1990, dans un style qualifié de « nouveau village », reprennent des formes d’habitats proches de celles que Jacques Riboud livrait 30 ans plus tôt. Les architectes qui réfléchissent au Grand Pari(s) lui donnent aujourd’hui un nouvel écho en reconnaissant l’attrait de ses « villes à la campagne ».